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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/442

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L’ÉTAPE

mises de soie, de fines mules. La lumière maigre et crue de plusieurs bougies, mariée à la clarté d’une lampe à globe rose, donnait un caractère fantastique à ce mauvais lieu, transformé sinistrement en chambre d’hôpital. C’était là, parmi ces tentures rouges, ces meubles capitonnés, ces rideaux lourds, que s’était perdue la jeune fille, qui maintenant reposait, pâle, les yeux fermés, comme si elle était en train de dormir. À l’approche de son frère, bien qu’il n’eût échangé que quelques mots, et à voix basse, avec le docteur, un mouvement convulsif de ses mains témoigna qu’elle était éveillée. Jean vint à elle et il vit qu’elle avait les yeux ouverts. Elle le contemplait avec une profondeur passionnée dans son regard. Elle fit le geste de lui prendre la main et poussa un léger gémissement. Il se pencha pour mettre un baiser sur ses pauvres yeux. La douceur de cette caresse, sous laquelle elle dit un « merci » tellement faible qu’il fut seul à l’entendre, mit un frémissement sur ses lèvres, qui s’ouvrirent de nouveau pour implorer, d’une voix étouffée, à peine distincte :

— « Fais-les s’en aller… Je veux te parler seul… » Puis, lorsque Jean eut transmis ce désir au docteur qui se retira avec le domestique dans l’autre pièce : « Il est mort, n’est-ce pas ?… » demanda-t-elle. « Ne mens pas…»

— « Non, » répondit le frère, « il n’est que blessé… » Et comme elle semblait douter encore : « Il a eu la main déchirée et le poignet brisé…