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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/458

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L’ÉTAPE

maître chanteur avait aussitôt expédié à Rumesnil. L’irréprochable probité de l’universitaire s’était révoltée contre l’infamie de son fils. Une explosion de fureur avait suivi, durant laquelle il l’avait maudit et chassé, sans vouloir entendre aucune explication. Ces hommes abstraits et que l’on croit débonnaires, ont de ces rigueurs implacables, quand ils se décident à frapper un coupable. Le justicier familial n’avait pas voulu davantage écouter les plaintes de sa femme, à laquelle il avait parlé en maître qui n’admet pas la discussion. Pour Jean, qui connaissait chaque nuance de cette physionomie, le premier regard révéla combien le pauvre homme avait souffert. L’agonie morale était visible dans la contraction de ce maigre visage ravagé, dans cette bouche frémissante, dans ces yeux surtout, dont le bleu, si tendre d’ordinaire, si noyé de rêve, avait un éclat de fièvre, fixe et dur. Les gestes aussi, saccadés, à peine dominés, dénonçaient l’excès de la douleur. Le professeur était dans son cabinet quand son fils cadet arriva, marchant de long en large, d’un pas impatient et qui, tout à l’heure, si sa femme ne rentrait pas, se précipiterait vers la maison de santé où était Julie. D’après le billet reçu ce matin, les deux époux étaient convenus que la mère partirait pour cette première visite et reviendrait aussitôt en rendre compte. Comme elle tardait !… Durant cette crise où son esprit de chimère et d’optimisme était bien contraint de subir l’acre morsure des faits, Joseph