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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/460

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L’ÉTAPE

regarder et consoler. Les plus beaux livres des plus grands écrivains ressemblent à ces statues, quand on souffre trop. Eux non plus n’ont pas de voix pour parler, pas de mots que le cœur puisse recevoir. Le malheureux humaniste était à une de ces minutes ou l’enchantement littéraire est aboli. Le retrouverait-il jamais maintenant ? Serait-il de nouveau quelque jour l’homme que son fils préféré avait vu tant de fois, interposant, entre sa destinée et lui, le magnifique rideau de la poésie grecque et latine ? Retrouverait-il le pouvoir de « fermer les yeux intellectuellement », dont avait parlé Jean lors de sa conversation avec M. Ferrand ? Le « consolateur » allait-il essayer de prolonger du moins celle de ses illusions qui n’avait pu encore être dissipée, sur l’aventure de Julie ? Il n’en fut même pas tenté un seul instant. Certes il souffrait cruellement de voir son père dans cet état de désespoir. Il lui était horrible de penser qu’il allait lui porter un coup plus meurtrier encore, en lui apprenant la vérité sur sa sœur. Mais il sentait que c’était son obligation absolue, comme fils, de ne pas mentir au chef de famille, dans des heures si tragiques qu’elles en étaient solennelles. C’était le père qui devait décider de l’avenir de sa fille, et le fils n’avait pas le droit d’empêcher qu’il exerçât cette magistrature paternelle gravée sur la pierre même du foyer :

— « Hé bien ? » avait demandé le professeur, « tu as vu ta mère ? Comment est Julie ? »

— « Aussi bien que possible, » répondit Jean.