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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/461

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LE PÊRE ET LE FILS

« J’ai laissé maman auprès d’elle. On a extrait la balle ce matin… » En quelques mots, il expliqua la nature superficielle de la blessure, et les raisons que le docteur Graux avait de croire à une guérison prochaine.

— « Ah ! quel poids tu m’enlèves de dessus le cœur ! » s’écria Joseph Monneron. « La savoir en danger et en ce moment, c’était trop dur ! Tu ignores encore le malheur qui nous frappe, mon brave Jean. Ton frère Antoine… »

— « Tu l’as chassé, » interrompit le fils dévoué, qui, sur le point de faire tant de mal à son père, voulait ne pas prolonger l’attente, et aussi lui épargner cet inutile et pénible récit. « Je le sais, et je sais pourquoi…  »

— « Tu l’as vu ? » interrogea le professeur, et, malgré lui, anxieusement.

— « Non, mais j’ai lu une lettre où il racontait cette scène que vous avez eue et demandait qu’on lui prêtât de l’argent… »

— « Une lettre où il racontait cette scène ?… » répéta le père. « Ou il demandait de l’argent ? Ah ! Quelle impudence ! Mais à qui ?… »

— « À Rumesnil. »

— « Rumesnil ne lui en a pas prêté, j’espère ? Tu l’en as empêché ? Il faut que tu le revoies, mon Jean, et que tu insistes en mon nom pour que ton ami ne lui donne jamais d’argent, jamais, quand il saurait que l’autre meurt de faim. Je veux qu’Antoine mange de la vache enragée. C’est la nourriture qui lui a manqué jusqu’ici. Elle est excellente