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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/464

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L’ÉTAPE

men. Je le croyais. Je l’en estimais tant ! Je le disais à ta mère, l’autre jour : « Elle veut se suffire !» Je lui vantais son esprit de famille !… Et, pendant ce temps-là, elle nous déshonorait ! Ni le chagrin qu’elle me causerait, si j’apprenais sa faute, ni celui de ta mère, ni l’affection que nous lui avons montrée, ni le respect de notre nom, rien n’a tenu, et devant quoi ?… Qu’a-t-il donc pour lui, ce voleur d’honneur ? D’être titré et d’avoir des chevaux ? Si c’est cela qui l’a séduite, ah ! c’est abominable !… Je ne veux plus la voir, elle, non plus. Je ne veux plus. Je ne veux plus… Qu’elle ne revienne pas ici, quand elle sera guérie ! Je la chasserai, comme j’ai chassé Antoine !… Je défendrai à ta mère de la voir. Je te le défendrai, entends-tu. Puisqu’elle a le goût de la boue, qu’elle y reste !… Ai-je mérité, mon Jean, je te le demande, que des enfants pour qui j’ai tant travaillé, à qui je n’ai jamais donné un mauvais exemple, soient devenus, lui, un faussaire, et elle, une coquine ? M’as-tu jamais vu manquer à des obligations de mon métier ? Prendre un plaisir ? Quand je me privais de tout, d’une voiture pour me rendre au lycée et pour en revenir par les mauvais temps d’hiver, d’aller me coucher quand j’avais mes copies à corriger, du Théâtre-Français que j’aime tant, d’un bouquin rare sur les quais, d’une pipe de tabac quelquefois, — car c’était ainsi, du petit au grand, — je me disais : Mes enfants me voient. Ils me paieront au centuple en apprenant à tout exiger d’eux, à se passer de luxe, à vivre de tra-