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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/469

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LE PÊRE ET LE FILS

de l’aristocratie. Julie, elle, a lu, trop tôt, trop de livres. Ils ont éveillé en elle des appétits d’émotion qui lui ont fait paraître insupportable la carrière d’institutrice à laquelle tu la destinais. Ils étaient entre deux mondes, celui d’en bas où l’on peine, où l’on est à la tâche, où l’on est privé, où l’on supporte, — celui d’en haut, où l’on est libre, où l’on s’épanouit, où l’on jouit. Ils ont été trop tentés. Je t’en conjure, mon père, avant de les condamner absolument, refais en pensée l’histoire de leur caractère, et ne les juge qu’après… »

— « Hé bien ! Et toi ? Et moi ? » dit le père, « N’avons-nous pas été dans la même situation, exactement ? Toutes les familles démocratiques et qui arrivent, comme on doit arriver, par le mérite individuel d’un de leurs membres, ne sont-elles pas aussi entre ces deux mondes dont tu parles ? Précisément parce qu’ils sortent d’en bas, parce qu’ils étaient tout voisins de la glèbe, ils auraient dû avoir, pour leur père qui en a fait des bourgeois, de paysans qu’ils auraient dû être, une telle reconnaissance ! Au lieu de cela, ils déshonorent mes cheveux gris. Si leur infamie était connue, elle rejaillirait plus haut encore. Le fils d’un universitaire et d’un universitaire républicain, faussaire et voleur ! Sa fille séduite et assassinant son séducteur ! Quelle aubaine pour nos ennemis ! À cette conséquence non plus, ils n’ont pas pensé, eux qui savent comme j’aime cet admirable corps auquel j’appartiens ! Et tu veux que j’aie de l’indulgence pour eux, que je les comprenne ?