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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/473

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LE PÊRE ET LE FILS

— « Ah ! mon père ! » reprit Jean, « où prendrais-je le droit de te juger, de te rendre responsables de pareilles hontes, toi que je respecte, que je vénère ?… Non, tu n’es pas coupable de ne pas leur avoir donné des croyances que tu n’avais pas. Tu as cru bien agir en ne les leur donnant pas… Tu n’avais pas eu besoin de la vie religieuse pour être un si honnête homme. Tu as cru qu’une foi n’était pas nécessaire, ou plutôt, tu en avais, tu en as une, puisque tu crois à la Justice, comme on croit à une révélation. Tu as pensé qu’elle nous suffirait… Tout ce que je me permets de te demander, c’est que tu te dises que, ne l’ayant pas, cette foi qui te soutenait, ils ont été bien dépourvus. Une autre peut-être, plus humble, les eût aidés, Julie surtout qui avait le cœur faible et tendre, qui était si peu faite pour cette atmosphère de négation où elle a étouffé ! … La Justice, c’est une idée, c’est une abstraction… Il leur fallait… » Il hésita une seconde, puis, comme Joseph Monneron le regardait avec un impérieux défi dans ses yeux, comme pour lui enjoindre d’achever, il eut le courage d’ajouter : « Oui. Il leur fallait Dieu !… »

Il y eut un silence entre le père et le fils. Celui-ci demeurait épouvanté des phrases qu’il avait prononcées. Il appréhendait d’avoir, en parlant ainsi, produit un effet entièrement opposé à celui qu’il avait désiré. Le visage du professeur s’était contracté davantage encore. Ses yeux avaient jeté un éclair plus aigu. Mais, contrairement à l’attente de son interlocuteur, sa voix,