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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/472

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L’ÉTAPE

sophismes ? » interrogea le père, avec une sévérité singulière, « Voici quelque temps déjà que j’ai cru saisir dans tes paroles la trace de sentiments dont j’ai le droit de m’étonner. On dirait que tu as des reproches à m’adresser sur l’éducation que je vous ai donnée… »

— « Mon père !… » supplia le jeune homme.

— « L’autre jour, » continua Joseph Monneron âprement, « quand je te parlais de la solidarité comme de la grande règle de la morale, tu me répondais : « Au nom de quoi ? » Aujourd’hui, quand tu me vois désespéré de ce que je viens d’apprendre sur ton frère et ta sœur, tu es là qui les défends, non pas en faisant appel à ma pitié, ce que j’admettrais, mais en insinuant que je ne leur ai pas donné de quoi se gouverner dans la vie, que la raison ne suffit pas… Explique-toi clairement. Est-ce de vous avoir élevés librement que tu me reproches, sans vous mentir, en vous évitant les luttes morales que j’ai dû traverser pour affranchir ma pensée ? Entends-tu me rendre responsable, en quoi que ce soit, des aberrations de conscience de ces deux malheureux, parce que je n’ai pas fait d’eux des catholiques, par exemple, quand je ne l’étais pas moi-même, quand je considère toutes les religions, et celle-là surtout, comme des illusions ou des impostures ?… Si c’est cela que tu sous-entends, parle net… sinon, n’essaie plus de te mettre entre eux et mon indignation. Ou c’est eux les coupables et ils ont tout mérité, ou bien c’est moi… Mais alors, ose le dire en face, à ton père… »