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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/476

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L’ÉTAPE

les lèvres, mais il ne pouvait pas mentir, et il ajouta : « à M. Ferrand. »

— « À Victor Ferrand ? » s’écria Joseph Monneron, et l’attendrissement qui avait passé dans ses prunelles, pour remercier son fils de n’avoir pas supporté qu’ils eussent une dette envers Rumesnil, se changea en une inexprimable douleur, « À Victor Ferrand ? » répéta-t-il. « Tu m’as fait cela, toi, mon Jean, d’aller livrer nos secrets de famille à cet ennemi de tout ce que je crois, de tout ce que j’aime ?… »

— « Mais je ne lui ai rien dit du motif de ma démarche, » interjeta le jeune homme. « Et il ne ma pas questionné… Il a été si généreux, si bon !… »

— « Il n’a pas eu besoin de t’interroger, » répondit le père, « il a tout deviné. Il sait bien que ce n’était pas pour moi que tu lui demandais de l’argent, il me connaît, — ni pour toi, il te connaît. Ce ne pouvait être que pour ton frère, et une somme pareille, sur laquelle on ne s’explique pas, à quoi peut-on la destiner, quand on l’emprunte de la sorte, sinon à une restitution ? Ferrand a compris qu’un de mes fils a volé !… Ah ! comme il doit triompher dans son cœur ! Comme il doit plaindre son ancien camarade, et en tirer une preuve que ses idées sont vraies ! … Ses idées ?… Je comprends pourquoi tu m’as parlé comme tu as fait tout à l’heure. C’est son influence qui t’a conquis. C’est pour cela que tu as pensé à t’adresser à lui dans un moment de crise, au lieu