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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/479

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LE PÊRE ET LE FILS

de Brigitte, et il était habitué à l’autre épreuve, celle que lui représentait depuis tant d’années la vulgarité maternelle :

— « Je rentre de la rue Oudinot, » commença la femme du professeur, « Julie l’a échappé belle… Ça ne sera rien… Si elle n’avait pas la manie de courir les rues comme un chat maigre, elle n’aurait pas été là, — sur le boulevard Montparnasse, je te demande un peu ! — quand cet évadé de Sainte-Anne a tiré… C’est ce pauvre chéri de Gaspard qui va être impressionné quand je lui raconterai cela. Il a trop de cœur, lui !… » Et elle regardait le fils qu’elle n’aimait pas, en prononçant cet éloge de l’affreux potache dont elle faisait son idole. « C’est son jour de promenade, aujourd’hui… Je ne pourrai le voir au parloir que tard… » Elle eut un autre regard, vers son mari, cette fois, puis de nouveau du côté de Jean. Il lui fut trop pénible de parler devant celui-ci de son Antoine, de cet aîné qui se partageait sa tendresse avec Gaspard, et dont elle eût dû avouer des choses si honteuses ! Elle jeta seulement un : « Ah ! pauvre de moi !… » où tout le Midi de sa jeunesse se retrouvait dans la mimique et dans l’accent, et elle s’en alla de la chambre, tandis que le professeur disait à son fils :

— « Elle ne soupçonne pas la vérité sur cette malheureuse. Plus elle l’apprendra tard, mieux cela vaudra. Elle est déjà si désespérée d’Antoine… C’est elle qui a trop de cœur… Ah ! si nous avions pu tout lui cacher, toujours ! »