Aller au contenu

Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/481

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
469
BRIGITTE FERRAND

qu’elle n’a pas su s’en faire aimer, qu’elle ne l’a pas aimée, que cette pauvre enfant, dans des heures pareilles, reste renfermée, ne s’ouvre pas, ne se plaigne pas, quelle condamnation pour une mère ! Et il ne voit pas plus cela qu’il ne voit M. Ferrand… Que m’importe d’ailleurs, puisque tout est fini et à jamais !… »

Le fils de Joseph Monneron était bien sincère dans son renoncement absolu à celle qu’il aimait. Après les sentiments que lui avait montrés son père, il se fût jugé criminel de penser à un pareil mariage. Il n’était pas moins sincère dans sa persuasion que, dorénavant, rien n’éclairerait jamais l’incorrigible sectaire sur les causes profondes des événements dont le contre-coup terrible l’avait enfin frappé. Malgré la vigueur précoce de sa pensée, et quoique la souffrance l’eût beaucoup mûri, Jean était trop jeune encore pour se rendre compte de certaines complications intimes qui résultent du retentissement inconscient de la sensibilité sur l’intelligence. Il l’avait deviné presque dès son enfance, et il l’avait dit à M. Victor Ferrand au cours de leur solennel entretien : l’optimisme de son père était en partie voulu. Il ne savait pas que cet aveuglement systématique du professeur n’était que sa destinée sénile, et que l’énergie des affirmations du Jacobin se mesurait à l’amertume de ses déceptions de toutes sortes. Plus les faits autour de lui avaient multiplié leurs démentis à ses doctrines, plus il s’y était enfoncé. Mais cette ardeur même de