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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/484

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L’ÉTAPE

le dégrader !… Et ainsi du reste. Et voici que le crime d’Antoine et la faute de Julie venaient soudain de lui montrer, à côté de son propre malheur, celui de ses enfants. La phrase naïve qu’il avait prononcée, en apprenant à son fils Jean la première dénonciation de M. Berthier contre Antoine : « J’étais si fier de ma nombreuse famille !… » correspondait à des choses bien profondes dans son pauvre cœur. Obligé, par l’évidence, de considérer son propre sort comme trop peu conforme aux attentes de sa jeunesse, il avait reporté tout son espoir de bonheur sur sa fille et sur ses fils. Il les avait vus, par avance, établis dans des positions sûres, participant à l’activité d’une France de plus en plus façonnée d’après les « immortels principes ». Par une de ces étonnantes illusions d’optique comme en produit le fanatisme idéologique, après avoir éprouvé par lui-même combien une carrière emprisonnée dans les cadres administratifs comporte de déboires, il construisait, pour cette fille et ces fils, des romans de fonctionnaires heureux. Le réveil avait été terrible. L’éclat de cette colère ne devait pas, ne pouvait pas durer. Ce père insensé, mais si magnanime, aimait trop véritablement les siens pour que, le premier moment d’indignation une fois passé, un plaidoyer en faveur des deux enfants coupables ne sortît pas de cette tendresse. Quel plaidoyer, sinon celui que Jean avait essayé ? Devant des actions que le sens moral ne saurait justifier sans se nier lui-même, à quels motifs d’indulgence faire appel ? Aux cir-