Aller au contenu

Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/493

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
481
BRIGITTE FERRAND

franchi la Seine au pont de l’Alma, se préparait maintenant à traverser la place des Invalides ?… Pourquoi le cœur du père, tout à l’heure si implacable, commença-il de battre plus fort à chaque tour de roue ?… Pourquoi ses traits exprimaient-ils l’émotion poignante d’un homme déchiré entre deux volontés contradictoires ?… Alors que le temps lui était mesuré, s’il voulait être rue Claude-Bernard assez tôt pour recevoir encore son élève, pourquoi arrêta-t-il soudain le fiacre à l’angle de l’Esplanade et de la rue Saint-Dominique et se mit-il à suivre à pied une direction qui n’était pas celle de sa maison, ralentissant et hâtant le pas tour à tour, s’arrêtant sur un banc et se reprenant à marcher ?… Ah ! noble et large cœur, d’une humanité si simple, si vraie, si sensible, aussitôt que l’orgueil de l’esprit ne l’égarait pas ! La pensée que son enfant était étendue sur un lit de douleur, blessée, misérable, dans une des maisons du pâté que domine le dôme doré des Invalides, s’était emparée du père en détresse, lorsque l’antique hôtel construit par Mansart avait profilé ses lignes dans le cadre formé par la vitre de la voiture, et du coup cette image avait tout emporté : l’indignation de l’honnête homme contre un si coupable mensonge, la révolte du bourgeois régulier contre la honte d’une séduction, la rancune du sectaire contre le démenti donné à ses principes d’éducation, tout enfin, tout, excepté la tendresse passionnée pour celle dont il avait salué la venue au monde avec tant