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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/494

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L’ÉTAPE

d’amour, son unique fille. Et il courait vers elle maintenant… C’était l’excès de son émotion qui par instants l’immobilisait, tant il redoutait et désirait cette entrevue, la première depuis qu’il connaissait la faute de sa Julie. Enfin il avait traversé la rue de Babylone… Encore un effort… Il arrivait au coin de la rue Oudinot… Une question à un passant, et il sonnait à la porte de la maison religieuse où le docteur Graux avait fait transporter la blessée… Le temps de décliner sa qualité, et une des sœurs l’introduisait dans la chambre où la jeune fille le regarda entrer, plus pâle que les rideaux blancs qui faisaient un fond clair à sa blanche figure vidée de sang, toute dévorée par ses yeux qui semblaient si grands. Il avait à peine passé la porte qu’elle savait qu’il savait tout et qu’il lui pardonnait :

— « Ma fille !… » lui disait-il, en gémissant, a ma fille !… » Et, la forçant de remettre ses bras sous les couvertures, comme à l’époque où, toute petite, il lui arrivait de venir la border, le soir : « Ne parle pas, ne sois pas émue… Ne te trouble pas… Je suis venu parce que je ne pouvais pas rester sans te voir, parce que je voulais te dire que tu dois vivre, que je l’exige, que tu dois t’appuyer sur moi, être bien sûre que je ne te manquerai jamais, jamais… Ne me raconte rien. Tu n’as plus rien à m’apprendre… Tu as tout expié.. Je lis ta misère sur ton pauvre visage. Aie confiance en ton père. Pourquoi ne l’as-tu pas eue toujours ?… Mais je ne suis pas