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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/498

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L’ÉTAPE

la Tradition, espérer que ce n’était là qu’une influence passagère. Un mariage avec la fille de cet homme, c’était toute l’intelligence de son fils aliénée de la sienne pour toujours, son fils passé au camp ennemi, définitivement, irréparablement ! En même temps, il se rappela leur conversation de ce matin, la souffrance empreinte sur le visage du jeune homme, quand lui-même s’était livré à cette violente sortie contre son ancien camarade d’école. Et Jean ne l’avait pas arrêté ? Il n’avait pas saisi cette occasion de dire son secret ? Il n’avait pas eu plus d’ouverture de cœur pour son père que n’en avaient eu Antoine et Julie, — moins encore ? Ceux-ci avaient eu, pour se taire, ce motif qu’ils étaient dans le mal. Devant cette méfiance de l’enfant de son esprit, de celui qu’il préférait dans le plus intime de lui-même, cet homme, si sensible sous son masque d’idéologue, eut le cœur de nouveau percé, et, se laissant aller à penser tout haut, il demanda : « Mais pourquoi ne m’en a-t-il jamais parlé ? Ce matin encore, le nom de Ferrand a été prononcé entre nous, à propos d’une dette contractée pour ton frère… Comment ne m’a-t-il rien dit ? Es-tu vraiment sûre qu’il aime cette jeune fille, ou le crois-tu seulement ?… »

— «  J’en suis sûre, » répondit Julie, qui ajouta, suppliante : « Ne lui dis jamais que je t’ai appris ce qu’il te cachait… Tâche qu’il te le dise. Et moi, tu vois bien, s’il fait ce mariage, que je ne peux pas être là… Si les Ferrand soupçonnaient la vérité,