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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/502

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L’ÉTAPE

s’engager dans le lacis des rues qui le conduisaient au Luxembourg et de là chez lui. Tout d’un coup, tournant le dos à la direction de sa propre demeure, il se mit à marcher hâtivement du côté de la place Saint-Sulpice et de la rue de Tournon, et voici le monologue intérieur qui se prononçait en lui :

— « Jean aimer la fille de Ferrand ? » se répétait-il. « Qu’en sait Julie ? Elle peut se tromper. À moins que… Oui. S’il y avait là un complot ?… Que Jean soit influencé par Ferrand, c’est certain. Je l’ai trop senti tout à l’heure. Cela ressemblerait pourtant bien aux procédés chers aux jésuites que cet endoctrinement au moyen d’une femme. (On ne s’intoxique pas impunément, des années durant, de pamphlets calomnieux. Le professeur radical avait tant lu d’articles dénonçant les sourdes menées de l’Église qu’il en était arrivé à croire sans hésiter aux pires machiavélismes quand il s’agissait d’un clérical, fût-ce d’un universitaire comme lui.) Ils recrutent leurs victimes comme ils peuvent. Ferrand aura vu un jeune homme de talent. Il l’aura attiré chez lui avec d’autant plus de plaisir qu’il était le fils d’un libre-penseur déclaré. Il aura remarqué que Jean s’intéressait à sa fille et il se sera servi de cet appât pour le gagner… Mais est-ce possible ?… Et pourquoi non ?… Quant à un mariage, c’est autre chose. Un mariage ? Ferrand ne peut pas en vouloir. Il sait que Jean n’a aucune fortune. Ces gens-là sont trop intéressés. S’ils ne l’étaient pas,