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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/520

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L’ÉTAPE

avec fermeté, « et que je ne le suis plus ; que j’ai été un partisan de 89 et de la Révolution, que je ne le suis plus ; que toutes les idées dans lesquelles j’ai été élevé, et que j’ai acceptées comme indiscutables si longtemps, m’apparaissent aujourd’hui comme radicalement fausses. J’ai cru qu’il y avait une antinomie irréductible entre la Science et la Religion ; je vois entre elles un accord absolu. J’ai cru que la Démocratie s’accordait avec la Science ; j’y vois une dégénérescence et une régression mentale… Nous ne savons pas ce que c’est que la Société, nous ne pouvons donc pas scientifiquement entreprendre de la réformer… »

— « Raisonnement de lâche, » interrompit Crémieu-Dax, « nous devons arriver à plus de justice et tout de suite, puisque nous le pouvons. »

— « Raisonnement d’orgueilleux qui conduit droit à l’anarchie, » répondit Jean. « Qu’est-ce que la justice ? Ce que tu crois juste… Voilà cent ans que chacun dans ce pays se fait juge de toute la société au nom de ce qu’il appelle sa conscience et qui n’est que sa passion dominante. Et c’est le secret de l’agonie de la France… »

— « Alors tu veux conserver la société comme elle est, avec toutes ses infamies ? »

— « Je veux la traiter comme la physiologie nous apprend à traiter un corps vivant, par l’expérience. Nous avons une expérience instituée par la nature, c’est la tradition, sous toutes ses formes : nous avons une patrie, acceptons-la ; une famille, acceptons-la ; une religion… »