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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/519

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BRIGITTE FERRAND

imprudence commise en maniant une arme à feu. Crémieu-Dax en savait assez sur les mystères de la vie de ce douteux camarade pour avoir aussitôt établi en pensée un lien entre ce prétendu accident et le départ inexplicable du frère de Julie. Il avait donc retourné rue Claude-Bernard l’après-midi, poussé par un double motif : l’inquiétude sur un ami pour lequel il éprouvait une affection si vraie, le désir d’acquérir Monneron à ses projets de réorganisation de l’U. T. Rien que de voir la pâleur de Jean, ses yeux brûlés par l’insomnie, sa bouche amère, lui avait prouvé que ses pressentiments ne l’avaient pas trompé. Mais à ses premières et affectueuses questions sur sa santé et sur sa disparition de la veille, Jean avait répondu comme un homme si évidemment décidé à un absolu silence que l’interrogateur s’était arrêté. Puis, quand le visiteur avait abordé le point capital pour lui, et parlé de l’Union Tolstoï :

— « J’allais t’en écrire, » lui avait dit Jean, « et t’envoyer ma démission, si toutefois il y a encore une Union, après les ignominies d’hier au soir et leur issue, telle que tu me la racontes. Toi-même, tu vas y renoncer… »

— « Moins que jamais, » s’était écrié Crémieu-Dax, » et toi non plus. Les officiers ne démissionnent pas sur le champ de bataille… »

— « À moins qu’ils ne reconnaissent qu’ils se sont trompés de drapeau, » répondit Jean.

— « Que veux-tu dire ? » interrogea l’autre.

— « Que je me suis cru socialiste, » reprit Jean