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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/525

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BRIGITTE FERRAND

vas me trouver bien ingrat, toi qui viens d’être si bon pour moi. Mais je ne peux pas profiter de la permission de cette lettre. Si j’épouse Mlle Ferrand, ce sera en adoptant sa religion, absolument, en me déclarant catholique, et je ne le ferai qu’avec ton autorisation. »

— « Tu as toujours été libre, » répondit Joseph Monneron avec un visible effort. « Tu n’as donc pas besoin d’autorisation ; mais, puisque tu la veux, je te la donne… Et maintenant, » ajoutat-il, « cours chez ta fiancée… »

Quand le professeur se retrouva seul dans sa bibliothèque, après avoir ainsi envoyé Jean rue de Tournon, il se laissa tomber sur le fauteuil de son bureau, en proie à des sentiments si contradictoires qu’il ne les démêlait pas lui-même De ses quatre enfants, il y en avait au moins un d’heureux, comme avait dit la pauvre Julie. Il avait le moyen de réparer dans une mesure tolérable les misères des deux autres, et le quatrième avait pour lui tout l’avenir. Mais lui-même, il était brisé. La conversion de Jean à l’Idée qu’il avait le plus passionnément et continuellement haïe, depuis qu’il pensait, lui causait une souffrance qu’il n’arrivait pas à dissiper, et cette souffrance, il fallait qu’il la supportât seul. Une autre des impressions qu’il rapportait de sa visite chez Ferrand, c’était la vision, dans la douce et fine Brigitte, de la vraie compagne d’esprit, et, à cet instant, la présence de sa femme, de sa compagne à lui, si mal appariée,