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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/527

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BRIGITTE FERRAND

Il ne se doutait pas qu’à ce moment même, — tant la vérité est une ! — Ferrand, l’ennemi de toutes ses doctrines, parlait de lui à Jean dans des termes presque identiques à ceux par lesquels il revendiquait sa part indestructible et bienfaisante dans l’être intime du fils de son esprit, devenu pourtant, lui aussi, un ennemi spirituel.

— … « Vous entrerez en ménage avec cette dure épreuve, » disait le traditionnaliste au jeune homme après les premières effusions. « Il faut toujours payer une rançon pour le bonheur. Mais vous la paierez tous deux bravement… Vous pouvez réussir maintenant où votre père a échoué, et fonder une famille bourgeoise. Vous le pouvez parce que vous n’êtes pas de la première génération. Il en faut plusieurs pour cette œuvre, car c’en est une, et qui ne s’improvise pas. Vous êtes mûr pour elle et pour ce qui est notre grand devoir à tous : vous pouvez guérir la France en vous. Vous vous rappelez ce que je disais encore jeudi dernier : il n’y a pas de transfert subit de classes, et il y a des classes, du moment qu’il y a des familles, et il y a des familles, du moment qu’il y a société… Pour que les familles grandissent, la durée est nécessaire. Elles n’arrivent que par étapes. Votre grand-père et votre père ont cru, avec tout notre pays depuis cent ans, que l’on peut brûler l’étape. On ne le peut pas. Ils ont cru à la toute-puissance du mérite personnel. Ce mérite n’est fécond, il n’est bienfaisant, que lorsqu’il devient le mérite fami-