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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/70

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L’ÉTAPE

de l’amour avec des idées abstraites, comme il venait de l’essayer, sans une révolte de toutes les énergies instinctives, si puissantes dans un cœur de vingt-cinq ans. Il voulut entrer dans le vieux jardin par la même grille, à droite du palais, qu’il avait franchie si peu de temps auparavant avec M. Ferrand et la jeune fille. Il revit Brigitte en souvenir, taciturne et si belle, si délicate et si intelligente, si pareille au rêve qu’il avait pu se faire d’une fiancée, d’une compagne d’âme avec qui traverser les épreuves de la vie, appuyé sur elle et la soutenant, consolé par elle et la consolant, compris tout entier et la comprenant ! Les pieds fragiles de la jeune fille marchaient tout à l’heure sur le sable dur de ces allées. Elle était là auprès de lui. Elle n’y était plus, elle n’y serait plus jamais… Elle l’aimait cependant. Le père lui-même le lui avait dit. Elle l’aimait !… Cette certitude, indiscutable maintenant, d’un sentiment auquel il avait toujours cru, sans en être vraiment sûr, achevait de désespérer le jeune homme. Qu’allait-elle penser, quand elle saurait qu’après avoir demandé sa main, il s’était retiré, et pour quel motif ? Pieuse comme elle était, s’expliquerait-elle le scrupule auquel il avait immolé leur commun bonheur ? Elle apercevrait en lui un ennemi de tout ce qu’elle respectait, de tout ce qu’elle croyait, et, à cause de cela, elle cesserait de l’aimer. Elle cesserait de l’aimer aussi, simplement parce qu’elle ne le verrait plus. Jean était bien décidé à tenir sa parole et à s’effacer abso-