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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/74

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L’ÉTAPE

n’avait pas même prononcé le nom de sa mère. Et cependant, parmi les visages de lui si connus, qu’il appréhendait de retrouver dans quelques minutes, réunis autour de la table familiale, aucun ne lui représentait plus de tristesses que celui de cette mère. Son expansion méridionale faisait passer Mme Monneron pour bonne. Jean, lui, savait qu’elle ne l’aimait pas. Il se rendait compte aussi qu’aux éléments désorganisateurs de la vie de son père, cette mère en avait ajouté un, et le plus funeste : l’influence d’une épouse instinctive et inintelligente, vaniteuse et sans talent de ménage. Seulement il ne comprenait pas que cette déplorable union n’était pas plus un hasard que le reste. Quand on étudie un homme de très près, on reconnaît que son mariage lui ressemble toujours. Celui de Joseph Monneron avait tenu, comme tout son caractère, à la logique de son origine. Le fils de paysan, devenu un « monsieur », seul des siens et par la chance d’une instruction toute livresque, n’avait eu, pour le guider dans son établissement, aucun parent. N’ayant comme revenu que son traitement, le cercle des choix possibles était bien resserré. D’autre part, idéaliste et inexpérimenté, il avait du manquer de prévoyance et ne pas rechercher d’autres conditions dans ce choix que les sentimentales. Il était resté absolument chaste durant ses années de Paris, pour des raisons multiples : travail acharné, timidité physique, scrupule moral. Il avait donc dû, non moins imman-