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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/75

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LES MONNERON

quablement, se laisser séduire au charme de la première jeune personne dans l’intimité de laquelle les circonstances le feraient vivre. C’est ainsi qu’ayant pris pension à Nice, son poste de début, chez de soi-disant petits rentiers qui louaient en garni deux chambres de leur appartement, il avait épousé la fille de ses logeurs. Elle s’appelait Anna Granier. Elle était vraiment jolie, à vingt ans, et surtout frappante, avec ces yeux noirs et ce teint pale du Midi, qui jouent d’autant mieux la passion qu’il s’y joint une vivacité de manières qui joue la franchise. En réalité, Anna était une nature honnête, mais très vulgaire, d’esprit court, de cœur étroit, élevée dans l’a peu près, par une mère indolente et par un père équivoque, qui avait fait vingt métiers, depuis celui de chef d’institution, jusqu’à celui de garibaldien, en passant par le courtage en huiles, l’épicerie, la commission, pour finir par la spéculation sur les terrains et la chambre meublée. Est-il besoin d’ajouter qu’elle n’avait pas eu de dot et que son mari pouvait compter parmi les rares chances heureuses de sa destinée la mort presque immédiate de ses beaux-parents, dont l’actif avait tout juste réglé le passif ? Il eut été obligé de les soutenir, et avec quelles ressources ? Ces détails sur le mariage de son père, Jean ne les savait qu’à demi. Ce qu’il connaissait trop bien, c’était les manières d’être actuelles de sa mère. C’était son incurie dans la tenue de la maison, son manque de respect pour