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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/76

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L’ÉTAPE

l’argent si péniblement gagné par son mari, et qu’elle gaspillait, qu’elle gâchait, tantôt par vanité, tantôt par manque de soin, toujours endettée dans le quartier, toujours en retard avec les domestiques et les fournisseurs, et, comme dit cocassement, mais énergiquement, le peuple, bouchant sans cesse un trou par un autre. S’agissait-il de recevoir à « son jour » ? Elle trouvait le moyen de figurer en toilette dans le salon auquel elle savait donner un air de décorum, par ce génie du trompe-l’œil que les gens du Midi conservent dans leur pire débraillé. Pendant ce temps-là, une cuisinière de hasard se préparait à servir pour le dîner du soir, où le professeur, épuisé de cours, avait besoin de réparation, un ragoût brûlé ! Ce que Jean connaissait trop bien aussi, c’était le fond d’égoïsme animal qu’il y avait par-dessous ces défauts, et qui se trahissait, tantôt par des colères furieuses à la moindre contrariété, tantôt par des paresses poussées jusqu’au plus négligent abandon, d’autres fois par des partialités et des injustices, cyniques d’inconscience. Autant elle avait été dure pour Jean, par exemple, et pour sa fille Julie, qui, tous deux, reproduisaient visiblement le type cévenol, hérité du père, autant elle avait gâté son fils aîné, Antoine, beau garçon qui tenait d’elle, et son plus jeune fils, Gaspard, vrai « moco » du Midi, qui savait la prendre par ses drôleries, et dont elle était en train de faire, sans s’en douter, un franc garnement. Jean Monneron n’eût pas été le sensitif et