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Page:Paul Vibert - Mon berceau, 1893.djvu/60

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MON BERCEAU

s’élargit et ce n’est plus… qu’au cimetière qu’on retrouve les siens…

Nous allions donc pédestrement gagner le pont de la Concorde et là, toujours à la même heure, chaque année, la foule, compacte, serrée, haletante, emportée par les roulements virils des tambours, nous barrait la route : les débris de la grande armée passaient !…

Les débris de la grande armée passaient. Les grenadiers de la garde, les voltigeurs, ceux qui avaient passé la Bérésina et ceux qui avaient vu Waterloo, droits, raides, maigres, blanchis, ratatinés, desséchés, mais marquant le pas dans leurs costumes légendaires, trop larges, avec une fière allure, passaient tambours battants, musique en tête, comme la Vision surhumaine d’une époque disparue… et la troupe macabre et l’armée fantôme traversait la place de la Concorde et se rendait à la place Vendôme.

Là, massés autour de la colonne, les vieux débris du carré de Waterloo formaient le carré du souvenir autour du fût de bronze poignardant le ciel et, plus d’un cherchant l’image d’une bataille à laquelle il assistait, autrefois, dans cette longue théorie de gloires et de carnages enroulée autour de la colonne géante, essuyait furtivement une larme.