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Page:Perrin - Les Egarements de Julie, 1883.djvu/56

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LES ÉGAREMENTS


la sienne ; et se battant les deux flancs comme pour abattre les morceaux et reprendre haleine : ça, dit-il, ne nous pressons pas, la table n’est pas louée ; fredonnons une petite chanson d’opéra : je n’ai pas un grand volume de voix ; mais on m’a toujours accusé d’avoir du goût : cela n’est pas étonnant. Au reste, j’ai demeuré deux ans entiers vis-à-vis Rameau, et feu mon père était fort ami du grand Lulli ; ainsi vous entendez bien que pour peu qu’on ait d’intelligence, ça vient tout seul. On saisit… oui on saisit… d’ailleurs rien ne nous échappe à nous autres. Et après un prélude des mieux nourris, nous devinâmes qu’il écorchait un passage de l’Opéra de Zaïde… L’Amour est à craindre ; et effectivement nous le parut-il alors : certains soupirs brusquement chevrotés, en forme de hoquets, nous firent mettre sur la défensive, et bien nous en prit ; car dès la seconde mesure, Bacchus fit entrer un accompagnement de sa façon, où chacun eut une assez vilaine partie.

Son air fini, il y eut cession d’armes, nous eûmes la liberté de nous débarbouiller ; et sans se faire prier, il nous offrit galamment de recommencer : cela ne lui coûtait rien, disait-il. Nous l’en dispensâmes, feignant de ne point abuser de sa bonté. La musique l’avait altéré, il fallut qu’un petit verre de vin allât tenir compagnie aux autres.