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Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/516

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CHAPITRE XLI.

et en Grèce, et tout aboutit à une fin unique. » Toutefois, avant d’entrer au cœur de son sujet, l’historien consacre deux livres entiers à en exposer les préliminaires. Il raconte même avec quelque détail la première guerre Punique, et tous les faits importants qui s’étaient accomplis en Sicile, en Afrique, en Illyrie, en Gaule, en Espagne et en Grèce avant l’invasion de l’Italie par Annibal. L’ouvrage n’avait pas moins de quarante livres, c’est-à-dire cinq fois environ l’étendue de celui de Thucydide. Nous ne possédons en entier que les cinq premiers livres ; mais on a d’assez considérables fragments de la plupart des autres, surtout depuis les découvertes de l’illustre Angelo Mai.

L’histoire, telle que l’a conçue Polybe, ne se borne point à raconter ni à peindre, ni même à suggérer des réflexions utiles. La recherche approfondie des causes qui ont engendré les événements, la mise en lumière des occasions qui les ont déterminés, des circonstances où ils se sont produits, des effets qui en ont été les conséquences, voilà ce que se propose essentiellement cette histoire, que Polybe appelle histoire pragmatique, d’un terme emprunté à l’école péripatéticienne, et qui servait à désigner les sciences d’application pratique et particulièrement les sciences morales. L’historien contemple les faits historiques, il les explique, il les juge ; c’est directement et en son nom qu’il donne ses explications, qu’il exprime ses jugements ; il disserte, il enseigne, en même temps qu’il peint ou raconte : il fait une pragmatie, comme Polybe nomme maintes fois son œuvre, c’est-à-dire un traité de politique et de morale à propos du spectacle des choses humaines. Il travaille à former l’expérience du lecteur, à l’initier au maniement des affaires, à élever sa pensée, à développer en lui les germes de l’homme d’État.

Polybe est resté jusqu’à ce jour le type le plus accompli de ce genre d’histoire, dont il fut le premier modèle. Nul historien n’a jamais été ni plus passionné pour la vérité, ni plus exact dans le récit des faits, ni plus judicieux dans leur appréciation. Il a la conscience, le savoir, le coup d’œil ; il ne déclame jamais ; il est du petit nombre des hommes dont la bouche n’a jamais servi d’interprète qu’à la