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Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/517

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ÉCRIVAINS DES DEUX DERNIERS SIÈCLES AV. J. C.

raison. Sans lui nous ne connaîtrions que fort imparfaitement les Romains, en dépit même de Tite Live, de Salluste et de tant d’autres. C’est lui qui nous a livré les secrets de leur politique ; c’est chez lui qu’on saisit l’esprit de leurs institutions ; et, n’eût-il fait que nous apprendre ce qu’était leur organisation militaire, il nous aurait mieux dit pourquoi ils furent les héritiers de l’empire d’Alexandre, que ne le disent les belles phrases sur la Fortune qui domine en toutes choses, et sur la vertu des vieux temps, et sur les consuls pris à la charrue. Bossuet et Montesquieu se bornent bien souvent à traduire Polybe. Les idées les plus fécondes et les plus vraies qu’on admire dans le Discours sur l’Histoire universelle et dans la Grandeur des Romains, ne sont autre chose que des emprunts faits à l’Histoire générale. Et ni Montesquieu ni Bossuet n’y ont pris, tant s’en faut, tout ce qu’ils y eussent pu recueillir, je dis plus, tout ce qu’ils y auraient dû prendre.

Cet ouvrage a ses défauts. Le récit est un peu froid, et les grandes figures n’ont point, dans les tableaux de l’historien, cette vivacité et cet éclat qui attirent et charment les regards. L’esprit est toujours satisfait avec Polybe ; l’imagination a toujours à désirer. Elle voudrait, dans le style, plus de lumière et de mouvement ; elle voudrait quelque chose de la grâce d’Hérodote ou de l’énergie pittoresque de Thucydide. Les passages de Polybe que j’ai cités à propos de Timée montrent pourtant que l’historien trouvait quelquefois, pour exprimer sa pensée, des formes agréables et piquantes. Les Grecs reprochaient aussi à Polybe de n’avoir pas écrit dans la langue classique. Ils remarquaient dans sa prose des termes et des tournures insolites, et un certain abus des expressions techniques empruntées au vocabulaire péripatéticien. L’Histoire générale n’en est pas moins un des plus beaux monuments du génie antique, et un de ceux qui font le plus d’honneur à l’humanité.

Denys d’Halicarnasse reproche durement à Polybe son manque d’art dans ce que les rhéteurs nommaient l’arrangement des mots. Il va jusqu’à dire que la lecture de Polybe est assommante. Le bon Rollin lui-même s’est senti indigné