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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/128

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LA RÉUNION

régime, à moins qu’il n’eût acheté avec l’intention de restituer à l’Église.

Cependant l’immense opération qui s’effectuait à la fois sur tous les points du pays achevait d’en transformer la physionomie. Quantité d’églises tombaient en ruines, leurs acquéreurs s’étant hâtés d’en enlever les châssis de fenêtre, les plombs et les tuiles de toiture. D’autres étaient transformées en magasins ou en ateliers. Ailleurs, les administrations publiques faisaient servir les innombrables couvents désaffectés de bureaux, d’écoles ou de casernes. Faute d’argent et faute aussi d’intérêt pour les « asiles de la superstition », personne ne songeait à en sauvegarder ni le mobilier, ni la décoration. Appropriés tant bien que mal à leur destination nouvelle, on les abandonnait au vandalisme, au pillage ou à l’incurie. Le délabrement était général. Les opulentes abbayes où, vingt ans auparavant, quelques moines entouraient leur oisiveté de tant d’élégance artistique et d’une économie si bien ordonnée, ne présentaient plus que le spectacle de façades croulantes au sein de jardins encombrés de végétations folles.

Si l’opinion eût été libre de s’exprimer, il n’est pas douteux que les élections de l’an VI eussent marqué un nouveau triomphe de l’opposition. Mais le gouvernement avait bien pris ses mesures. La loi imposant aux électeurs le serment de haine à la royauté amena l’abstention des mécontents, si bien que les républicains l’emportèrent presque partout. Le Directoire s’effraya même du succès obtenu dans le département de l’Ourthe par les « anarchistes ». Il dut y invalider le général Fion, compromis jadis dans la conspiration de Babeuf.

Il est certain que le sentiment public était trop découragé pour réagir. Le peuple se rendait compte de son impuissance et se résignait à subir son sort. Comment soulever le poids énorme de la République qui l’écrasait ? On ne pouvait plus même espérer, depuis la paix de Campo-Formio, une restauration autrichienne. Visiblement on s’abandonnait. Il semblait que la société à laquelle on avait été habitué tombât en ruines. On ne se reconnaissait plus dans son propre pays. La noblesse, la bourgeoisie riche quittaient les villes pour se confiner à la campagne.