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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/144

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LE NOUVEAU RÉGIME

la fin de l’Empire, il s’en est élevé une autre sur ses ruines.

De 1800 à 1814, notre histoire se résume dans ce passage de la nation d’un état de choses à un autre. Son intérêt réside là tout entier.

Pour les Belges, l’épopée napoléonienne est un fait étranger et la participation qu’ils y ont prise n’a été que la rançon terrible du nouveau régime. De toutes les expéditions, de toutes les victoires où leurs soldats combattirent pêle-mêle avec les vieux et les nouveaux Français que l’empereur menait à la conquête de l’Europe, ils n’éprouvèrent aucune fierté. Ils les subirent comme un impôt plus cruel et plus dur que les autres. Les Te Deum auxquels ils assistèrent par ordre durant tant d’années leur apparurent comme les services funèbres de leurs enfants sacrifiés à l’ambition du maître. S’ils contribuèrent à agrandir l’insatiable Empire dans lequel ils étaient englobés ils n’y virent qu’un corps politique mais non une patrie, et quand il fallut enfin le défendre, ils lui donnèrent leur sang tout en souhaitant sa défaite.

Et cependant, après tant d’agitations, d’angoisses, d’humiliations et de ruines, cet Empire qui exigeait de si lourds sacrifices, leur apporta la paix intérieure. Si l’on combattait pour lui, c’était au loin. Jusqu’en 1814, sauf pendant la courte expédition de Walcheren, on n’entendit plus le canon en Belgique et les seuls soldats étrangers que l’on y vit, ce furent des prisonniers. La sécurité dont on jouit fit oublier par ses avantages le prix qu’elle coûtait. On vit s’instaurer enfin une organisation ferme, stable, cohérente, renaître la prospérité matérielle et la liberté religieuse. De nouvelles mœurs, de nouvelles idées, un nouveau tour de vie s’imposèrent. Sans que l’on se sentît Français, on se francisa dans la mesure où l’on s’initiait à l’État moderne né de la Révolution.

À l’ordre social traditionnel en succédait un autre fondé sur la libre expansion de l’individu et la concurrence universelle. La destruction des privilèges de classes et de corporations ouvrait à tous le champ des possibilités économiques. Jamais l’esprit d’initiative, mais jamais non plus le capitalisme n’avaient trouvé de conditions aussi favorables. L’essor de