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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/216

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LA SITUATION INTELLECTUELLE ET MORALE

en dépit de la bonne volonté de ses promoteurs, toute cette activité ne dépasse pas le niveau d’une honnête médiocrité provinciale « à l’instar de Paris ». Le théâtre s’alimente naturellement de pièces françaises, jouées par des acteurs français. Nulle part, ni accent original ni inspiration sincère. La nation s’efforce à porter l’habit d’uniforme qui lui est imposé et à n’en pas déranger les plis.

Comment aurait-elle pu s’abandonner à elle-même et s’exprimer à sa guise sous la surveillance constante d’une censure qui, à mesure que se prolonge le régime impérial, devient d’année en année plus soupçonneuse et plus oppressive ?[1]. Sous la République, la presse avait encore joui d’une liberté bien précaire sans doute et bien limitée. À partir du Consulat, l’étau qui l’enserre a été se refermant sans cesse. Jamais une telle servitude ne lui a été imposée, car, si l’Ancien Régime la contrôlait par raison d’orthodoxie et par raison d’État, du moins ne prétendait-il pas la contraindre au silence.

Aujourd’hui, en dehors des matières de simple agrément ou de science pure, tous les sujets lui sont interdits. Elle ne peut traiter ni de politique, ni de morale, ni de philosophie, ni d’administration. Toute idée est suspecte, toute phrase peut contenir une allusion ou une insinuation. Seuls les fonctionnaires ont le droit de parler au public et de lui communiquer la bonne doctrine. Tout papier imprimé est du ressort de la police, car tout papier imprimé peut être dangereux. À lire la correspondance des préfets, il apparaît que de plus en plus leur mission essentielle est de surveiller l’opinion et de faire observer les lois qui l’étouffent. En vertu de l’arrêté du 27 nivôse an VIII (17 janvier 1800) aucun nouveau journal ne peut être

    lectuelle à Bruxelles pendant la réunion à la France (Bruxelles, 1887) ; La Société de Littérature de Bruxelles (Bruxelles, 1888).

  1. P. Verhaegen, Essai sur la liberté de la presse en Belgique durant la domination française. Annales de la Société Archéologique de Bruxelles, t. VI, [1892] et VII [1893] ; F. Donet, Un quart de siècle de censure. Bulletin de l’Académie d’Archéologie, 1907, p. 278 et suiv. ; Th. Gobert, Imprimerie et journaux à Liège sous le régime français. Bulletin de l’Institut Archéologique liégeois. 1924, p. 1 et suiv. Cf. E. Roche, La censure en Hollande pendant la domination française (La Haye-Paris, 1923).