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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/244

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LA NOUVELLE BARRIÈRE

les parties vivantes de la société à ses parties mortes, substituer le privilège à l’égalité, le droit coutumier aux nouveaux codes, la bigarrure et l’incohérence à la régularité et à la logique, ruiner les acquéreurs de biens nationaux et les industriels au profit de l’Église, briser les départements pour faire rentrer la nation dans ses vieux cadres provinciaux, bref, bouleverser si complètement la vie administrative, l’organisation de la justice, des finances, des impôts, qu’une telle tentative, quand bien même elle eût été réalisable, eût conduit tout droit à l’anarchie, à la ruine et à la guerre civile.

Les alliés ne songèrent pas un instant à entreprendre cette tâche impossible. Leur intérêt eût suffi d’ailleurs à les en détourner. L’organisation administrative de l’État napoléonien était un instrument trop commode pour qu’ils voulussent le détruire. Ils ne songèrent qu’à en tirer parti. Ses rouages si exactement agencés continuèrent à tourner pour eux comme ils l’avaient fait pour l’Empereur. Il suffit de modifier le personnel qui leur donnait l’impulsion : ce furent les hommes, ce ne furent point les institutions qui changèrent. On se préoccupa seulement de donner quelques satisfactions à l’opinion. Les prisonniers incarcérés par ordre de la police furent remis en liberté. Les droits réunis et l’odieuse conscription disparurent. Pour le reste, on se contenta de modifier les noms pour dissimuler le maintien des choses. Les préfets furent baptisés « intendants », et les cours impériales, « cours supérieures ». Les fonctionnaires, même Français, demeurèrent en place à condition de prêter serment de n’avoir aucun rapport avec l’ennemi. Il y eut très peu de destitutions : celle du maire de Bruxelles, le duc d’Ursel, suspect de sympathies napoléoniennes, est à peu près la seule que l’on puisse citer. Les postes vacants, soit par le départ, soit par la démission de leurs titulaires, furent confiés à des membres de la noblesse qui, sous l’Empire, s’étaient abstenus de se mêler aux affaires.

Du moins appartenaient-ils tous au pays et leur entrée dans l’administration, dont les grades supérieurs avaient été jusqu’alors réservés à des Français, contribua-t-elle à la réconcilier avec ceux qui lui reprochaient encore son origine