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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/245

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GOUVERNEMENT DU PAYS SOUS LES ALLIÉS

étrangère. Pourtant, elle fonctionnait comme par le passé. On ne songea pas même à déposséder la langue française de son rôle de langue officielle. Dans les départements flamands, on se contenta de permettre aux autorités de dresser les actes dans l’idiome national, mais en leur adjoignant une traduction. Le clergé seul put espérer un retour à la situation qu’il avait occupée avant la Révolution. L’influence qu’il exerçait était si grande que les alliés voulurent s’assurer ses sympathies. Le 7 mars 1814, un arrêté du gouvernement déclara que « la puissance spirituelle et la puissance civile seraient maintenues dans leurs bornes respectives ainsi qu’elles sont fixées par les lois canoniques de l’Église et les anciennes lois constitutionnelles du pays… et que c’est donc aux autorités ecclésiastiques que l’on devra s’adresser pour tout ce qui concerne la religion »[1]. Ainsi, d’un trait de plume, le pouvoir occupant supprimait le Concordat et, en faisant dépendre des lois canoniques les rapports de l’Église et de l’État, soumettait en réalité celui-ci à celle-là. Ce n’était plus à l’Ancien Régime, c’était au moyen âge que l’on en revenait. Manifestement, dans sa hâte de se rallier le clergé, le gouvernement avait improvisé, et les militaires prussiens qui le dirigeaient l’avaient laissé employer des termes dont ils n’avaient pesé ni la signification ni les conséquences. Au surplus, que leur importait ? Sachant bien que l’occupation du pays était provisoire, il ne se souciaient que d’aller au plus pressé. Ils ne seraient plus là quand il faudrait résoudre le problème qu’ils venaient de poser si légèrement. Pour le moment, l’essentiel était de pouvoir compter sur l’Église et d’apaiser chez elle un mécontentement qui eût pu aggraver celui qui se manifestait dans le peuple.

Il n’avait fallu, en effet, que quelques semaines pour transformer en indignation la méfiance avec laquelle on avait reçu les alliés. Le despotisme, dont le duc de Saxe-Weimar, le 7 février, annonçait si pompeusement la fin, n’avait disparu

  1. Journal officiel du gouvernement de la Belgique, t. I, p. 61 (Bruxelles, 1814)