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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/259

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CRÉATION DU ROYAUME DES PAYS-BAS

C’était beaucoup aussi pour Guillaume que d’avoir été reçu paisiblement à Bruxelles. Il savait bien que l’opinion était mal disposée à son égard. Mais il lui suffisait qu’elle ne protestât pas, et elle s’abstint, en effet, de toute démonstration, se résignant à l’inévitable. Très habilement d’ailleurs, il s’efforça d’apaiser les répugnances du clergé à passer sous le pouvoir d’un prince calviniste. Il savait que les vicaires généraux du diocèse de Gand venaient d’envoyer au Congrès de Vienne une pétition demandant le rétablissement de l’Église dans tous ses droits : dîmes, tribunaux ecclésiastiques, monopole de l’enseignement, etc. Il fallait au moins donner des gages à ces obstinés et leur témoigner des sentiments rassurants. 200,000 francs furent affectés aux traitements des prêtres. L’interdiction de travailler les dimanches et les jours de fête, fort négligée « par suite des principes révolutionnaires que la réunion de la Belgique à la France y a propagés au mépris des lois divines, ecclésiastiques et civiles » rentra strictement en vigueur. Et quelques jours plus tard, le gouvernement, pour être agréable aux catholiques, leur imposait de se munir, avant le mariage civil, d’un certificat de leur curé, et rétablissait, dans les serments en justice, l’invocation de la divinité.

Cependant le Congrès de Vienne délibérait et la Prusse restait accrochée à la ligne de la Meuse. Sans se préoccuper de se mettre d’accord avec les théories linguistiques qui, à partir de cette époque, commencent à servir de prétexte aux ambitions allemandes[1], elle se montrait décidée à englober dans ses frontières les territoires wallons de la rive droite du fleuve et revendiquait obstinément le Luxembourg. Elle était une voisine insupportable, rogue, hargneuse et habile à faire naître d’irritants incidents de frontières. Pour s’en débarrasser, il fallut bien consentir, sur les conseils impératifs de l’Angleterre,

  1. Le 19-20 avril 1814, van Spaen écrit à van Nagell que certains princes allemands, pour contrecarrer les projets de Guillaume « ont constamment tâché de répandre et de faire goûter la maxime, malheureusement assez spécieuse mais dont l’application deviendrait fort étendue, que ce ne sont ni les montagnes ni les fleuves mais la conformité du langage, qui forment les limites naturelles des États ». Gedenkstukken 1813-1815, p. 538.