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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/27

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INTRODUCTION

l’État moderne, celle-ci n’a donc fait que réaliser, si l’on peut ainsi dire, un programme international de réformes, conçu et en partie appliqué déjà non seulement en Prusse et en Autriche, mais même dans le grand-duché de Toscane et en Savoye. Rien en cela qui soit proprement français d’origine. Et si la Révolution s’en était tenue là, elle ne serait pas plus révolutionnaire que ne l’avaient été avant elle tant de despotes « éclairés ».

Mais son originalité réside justement en ceci, que si elle emprunte au despotisme son programme, elle s’élève en même temps contre le despotisme. Ailleurs, les souverains absolus ont fait l’État ; en France, au contraire, c’est contre le souverain qu’il a été fait. Et c’est en cela que l’œuvre de l’Assemblée nationale est une œuvre révolutionnaire. Elle se tourne contre la royauté parce que la royauté semble avoir failli à sa tâche. Sous Louis XV et sous Louis XVI, elle a trop sacrifié le peuple aux privilégiés pour que son impuissance, en présence des abus, n’apparaisse pas comme une complicité. Si on a tant souffert de l’aristocratie, c’est que le roi s’est solidarisé avec elle. Aux yeux de Camille Desmoulins, qui n’est en cela que l’interprète de l’opinion courante, tous les rois de France, à l’exception du seul Henri IV, ami des paysans, ne sont que des « monstres », des « débauchés » et des « tyrans ». Le passé national n’apparaît aux réformateurs que comme un entassement effroyable d’aberrations et de crimes. L’éducation classique qu’ils ont reçue et la philosophie qu’ils professent renforcent encore l’aversion qu’il leur inspire. L’une et l’autre les dressent contre le despotisme : la première, en leur assignant comme idéal la liberté républicaine du citoyen antique, la seconde, en les convainquant que l’homme, bon par nature, n’a été corrompu que par les vices de la société et du gouvernement. La révolution des colonies américaines de l’Angleterre est arrivée juste à point pour les renforcer dans leur opinion. S’ils applaudissent avec tant d’enthousiasme à sa « déclaration des droits », c’est que précisément ils l’interprètent comme une justification de leur théorie. Ce qu’ils y découvrent, c’est l’application d’une politique fondée sur le droit naturel. Contre