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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/28

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INTRODUCTION

lui ne prévaut aucun pouvoir, et cependant tous le méconnaissent ou le violent. Aussi toute insurrection est-elle légitime et apparaît-elle même comme le plus sacré des devoirs. « Le peuple a toujours raison parce que le peuple veut toujours le bien, même s’il ne le voit pas toujours ». Les « aristocrates » du Brabant eux-mêmes sont dignes de sympathie puisqu’ils se soulèvent contre un « tyran ».

Rien d’étonnant si l’Assemblée nationale, sous l’empire de ces idées, fut hantée par la terreur du despotisme. Elle salue la prise de la Bastille comme l’aube de la liberté politique, et quelques semaines plus tard (août 1789) en proclamant les droits de l’homme et du citoyen, elle se flatte de fonder la constitution sur des principes inébranlables et universels puisqu’ils sont ceux de la nature humaine. En conséquence, la souveraineté est transférée du roi à la nation, c’est-à-dire d’un homme à l’ensemble de tous les hommes. Mais ne pouvant l’exercer elle-même, la nation la délègue à des législateurs. Le roi en sera réduit au pouvoir exécutif et toutes les précautions sont prises pour qu’il ne puisse pas abuser de son autorité pour rétablir la « tyrannie ». Elles sont même si bien prises qu’en réalité elles suppriment le gouvernement. Le chef de l’État est amoindri au point de n’avoir plus la force de faire exécuter les lois. Ses ministres sont de simples commis ; il ne dispose d’aucun agent ni dans les départements, ni auprès des municipalités ; le veto qu’on lui a reconnu est purement suspensif, et s’il conserve en théorie le commandement de l’armée, la garde nationale, qui lui échappe, pourra, en cas de besoin, se tourner contre l’armée. En fait, la constitution de 1789, par crainte du despotisme, a organisé l’anarchie. Et c’est ici que son œuvre apparaît viciée d’une contradiction fondamentale.

Car enfin, pour appliquer toutes les réformes qu’elle a décrétées, pour démolir l’Ancien Régime et construire à sa place le régime nouveau, pour refaire l’État et la société, pour accomplir en un mot une transformation si radicale, si profonde, si étendue et si rapide que jamais, sauf peut-être lors des invasions musulmanes, dans aucun pays et dans