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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/286

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L’AMALGAME

indispensable au développement du commerce et de l’industrie, et par cela même à la mission essentielle de l’État.

L’État s’emparera donc de la formation des esprits, tant dans son intérêt propre que dans l’intérêt des sujets eux-mêmes. Et c’est au roi de veiller à ce que l’État accomplisse correctement sa tâche. En ceci l’abnégation de Guillaume est aussi remarquable que son étroitesse de vues. Chaque jour au travail, il s’y épuise, s’y disperse et finit par s’y perdre. Il n’a pas assez d’envergure pour voir les choses de haut et d’ensemble. Il n’a confiance qu’en lui-même et veut tout faire, ne comprenant pas que s’absorber dans le gouvernement c’est se condamner à se laisser entraîner par lui et à en perdre la direction. Il dégrade ses ministres au rang de simples commis. Il revoit lui-même leurs rapports et un moyen de lui faire sa cour, c’est d’y laisser de menues erreurs pour lui donner le plaisir de les corriger[1]. Autour de lui, il ne veut que des gens médiocres ou des serviteurs. Ses conseillers ne sont là que pour l’approuver. Toute supériorité intellectuelle lui est importune, tout partage de son autorité insupportable. Il vit au plus mal avec son fils aîné, le prince d’Orange, dont il ne peut supporter le franc parler et la liberté d’allures, tandis que toutes ses complaisances vont au prince Frédéric, caractère obéissant, timide, effacé et respectueux. Malgré l’impopularité croissante de van Maanen, il met son point d’honneur à le couvrir parce qu’avec lui, nulle contradiction n’est à craindre. D’un autre de ses ministres, Mey van Streefkerk, on dit qu’il est comme une cloche qui ne tinte que frappée par la main du roi. Ainsi entouré, il n’entend et ne voit que lui-même. Infatué de sa sagesse, il se laisse entraîner par ses préjugés que personne ne combat. Ses intentions étant excellentes, il croit que son gouvernement l’est aussi. Il va imperturbable à une crise que personne n’ose ou ne peut lui faire prévoir et quand tout à coup il ouvrira les yeux, il se trouvera au bord de l’abîme.

  1. H. T. Colenbrander, Gedenkschriften van A. R. Falck, p. XIX (La Haye, 1913).