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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/287

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LE ROI GUILLAUME

Il manque d’ailleurs autant de finesse que d’ouverture d’esprit. Il se croit populaire parce qu’il est facilement accueillant, sans morgue, sans grands airs et qu’il prend pour la voix du peuple, la voix des gens en place qui l’adulent lorsqu’il parcourt le royaume. En Hollande, elle correspondait certainement au sentiment public. Là, tout le monde lui faisait confiance. Il était le prince national, le restaurateur de l’indépendance, de la paix et du commerce. On ne lui demandait pas autre chose. Il comprenait ses compatriotes, qui étaient en même temps ses corréligionnaires. Son tort fut de n’avoir pas essayé de comprendre les Belges qui n’étaient ni l’un ni l’autre. Avec plus de pénétration et de tact, il aurait évité tout ce qui pouvait froisser ce peuple que sa religion, son histoire, ses intérêts, son tempérament avaient fait si différent de lui-même. Il crut que c’était assez pour se le concilier que de vouloir sincèrement son bien. Trop honnête pour jouer la comédie et affecter d’être ce qu’il n’était pas, il s’indignait de voir le prince d’Orange, préférer le séjour de Bruxelles à celui de La Haye, fréquenter la noblesse et la haute bourgeoisie, amuser la ville par sa gaieté et ses aventures et s’attirer cette espèce de popularité un peu vulgaire qui avait jadis entouré Charles de Lorraine. Pour lui, au contraire, on eût dit qu’il lui suffisait d’imposer l’estime, bien moins utile à un prince que la sympathie. Sa cour était sérieuse, maussade, morne, sans grâce, figée dans une rigidité et une étiquette importées d’Allemagne et qui détonnaient au milieu d’une société habituée à prendre le ton à Paris. Il laissait trop voir son mépris pour ces élégances françaises qu’il dédaignait parce qu’il n’en saisissait ni le charme ni l’importance sociale. Sa gravité ne choquait pas seulement, elle inquiétait. Les catholiques y voyaient une sorte d’affectation calviniste et quelle que fût la sincérité de sa tolérance, il ne parvint jamais à les en persuader. Le conflit qui le mit tout de suite aux prises avec l’Église, lui aliéna, dès le début de son règne, le clergé qu’il eût dû tout faire pour se concilier. Ce fut là sa faute initiale. Ce qu’on n’avait pu supporter de Joseph II, comment l’eût-on supporté d’un roi protestant ? Mais il faut reconnaître