Aller au contenu

Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
272
L’INSTALLATION DU RÉGIME

au milieu des Hollandais de l’entourage des souverains. Leur calvinisme, leur politesse cérémonieuse, leur froideur, tout ce qui dans leurs goûts et leurs habitudes différait des mœurs belges, paraissait bizarre, archaïque ou ridicule. Dans les bureaux des ministères et des administrations où ils foisonnaient comme à la cour, il en allait de même. Aux États-Généraux, les députés du Nord et ceux du Midi se regardaient en étrangers. La communauté de religion ne parvenait pas à rapprocher les uns des autres catholiques belges et catholiques hollandais. Nulle mauvaise volonté d’ailleurs. On cherchait à s’accorder sans y parvenir. Par condescendance pour leurs collègues du Sud, les députés du Nord se servaient fréquemment de la langue française. Mais on se choquait malgré soi ; on eût voulu s’unir et on restait divisés. Tout indiquait la juxtaposition de deux peuples : la faconde des Belges, leur liberté d’allures, contrastaient avec le décorum, le flegme et le sérieux de leurs nouveaux compatriotes. À part soi, ceux-ci se considéraient comme les plus solides et ceux-là comme les plus modernes[1].

À cela s’ajoutait l’agitation que le clergé continuait à entretenir contre la Loi fondamentale. La réprobation que le roi avait témoignée publiquement aux évêques au lieu de leur en imposer, n’avait eu pour résultat que d’accentuer chez eux une résistance qui leur apparaissait comme un devoir de conscience. Dominés et excités par Mgr. de Broglie, ils étaient décidés à ne pas faiblir. Au mois de septembre, ils publiaient un « jugement doctrinal » qui n’allait à rien moins qu’à soulever les fidèles contre l’État. Ils y déclaraient que c’était « se rendre coupable d’un grand crime » que de « con-

  1. Sur cette incompatibilité, les contemporains sont unanimes. Le ministre russe, Phull, va jusqu’à parler de haine nationale. Gedenkstukken 1815-1825, t. I, p. 591 et suiv. Son compatriote Czernicheff dit que les Belges et les Hollandais sont comme le feu et l’eau. Ibid., p. 633. Voy. encore Ibid., p. 453, l’opinion de l’Autrichien Binder. D’après un Hollandais, les Belges sont « verbitterd tegen alles wat uit Holland komt… Elk herbergier, elk daglooner is een politiek en acht zich meer in staat om regent te zijn dan in Holland de verstandigste mannen ». Ibid., t. II, p. 62. D’après un autre, la réunion avec la Belgique est « een temporair onheil » dont Dieu a voulu châtier la Hollande, Ibid., t. III, p. 390.