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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/293

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CRISE ÉCONOMIQUE

courir au maintien et à l’observation de la Loi fondamentale » ; ils interdisaient de prêter le serment qu’elle imposait aux fonctionnaires ; ils affirmaient enfin qu’en abandonnant la direction de l’instruction à un souverain non catholique, elle trahissait « honteusement » les plus chers intérêts de l’Église[1]. Ainsi, au moment même où le roi jurait d’observer la constitution, le peuple entendait ses pasteurs non seulement la condamner comme impie, mais le provoquer à n’y pas obéir. Ni sous Joseph II, ni sous la République, ni sous l’Empire, le pouvoir spirituel n’avait jamais revendiqué en des termes aussi catégoriques et aussi hardis, sa prééminence sur le pouvoir temporel.

Le péril était d’autant plus grand que ces excitations agissaient sur des masses aigries par la misère. La victoire des alliés sur Napoléon avait plongé l’industrie belge dans une crise douloureuse. Ce n’était pas assez qu’un cordon de douanes et des droits quasi prohibitifs lui fermassent le marché français, elle se trouvait encore en butte à la concurrence de l’Angleterre dont les manufactures, depuis la disparition du blocus continental, inondaient les Pays-Bas de leurs produits. Il avait fallu diminuer la fabrication, congédier des ouvriers, réduire le taux des salaires. De 1815 à 1816, le nombre des toiles de lin vendues au marché de Gand, passe de 78,265 à 56,923. Des grèves et des émeutes éclatent dans tous les centres industriels. À Gand, le peuple brûle des étoffes anglaises sur les places publiques. Cependant, l’exportation des blés vers la Hollande fait hausser le prix du pain. En 1817, la disette est affreuse. En Flandre, dès le mois de mai, on coupe les grains et les fourrages et l’on arrache les pommes de terre sans attendre leur maturité. Le sac de pommes de terre qui coûtait six francs un an auparavant, en coûte vingt. Des gens meurent de misère ; dans quantité de villes on pille les marchés. La mendicité se répand en même temps que le chômage. Rien qu’à Gand, 15,000 ouvriers des usines de

  1. Ch. Terlinden, Guillaume Ier et l’Église catholique, t. I, p. 103 et suiv. (Bruxelles, 1906).