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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/341

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LOUIS DE POTTER

préparer les jeunes gens à l’exercice des professions libérales et non pas d’en faire des citoyens.

Ainsi, l’influence française qui, au XVIe siècle, avait déterminé l’évolution du protestantisme en Belgique[1], y détermina de même celle du libéralisme au commencement du XIXe siècle. La transformation qu’elle opéra dans les esprits entre 1825 et 1828 ne peut mieux s’attester que par l’exemple de Louis de Potter dont les circonstances allaient faire bientôt le maître de l’heure. Ce descendant d’une vieille famille brugeoise avait tout d’abord fait scandale par son scepticisme voltairien. En 1822, son ami Chênedollé le félicitait de « chercher des armes dans l’arsenal des papes pour les combattre et renverser le colosse sacerdotal »[2]. Son Histoire des Conciles et sa Vie de Scipion de Ricci avaient attaqué l’Église avec virulence, et Vilain XIIII lui écrivait, en manière de compliment, « qu’il sentait la grillade d’une lieue ». Son anticléricalisme l’avait naturellement rapproché du gouvernement. Il appartenait au petit nombre de ces Belges qui « permettent aux Hollandais de les appeler compatriotes ». Il était au mieux avec Falck, fréquentait à Rome le salon de Reinhold, et son ami Groovestins lui faisait part de l’intérêt avec lequel le roi lisait la Vie de Ricci. Mais à la haine du prêtre s’alliait en lui celle du noble. En 1824, après la mort de son père, il avait refusé, par une lettre d’une ironie dédaigneuse, le titre de noblesse que celui-ci avait sollicité. De plus en plus, il accentuait ses allures démocratiques. L’absolutisme, fût-il même aussi « éclairé » que celui de Joseph II et de Guillaume, lui apparaissait comme un opprobre à la souveraineté du peuple. Il n’admettait pas que sous prétexte de combattre les jésuites, le gouvernement usurpât un pouvoir arbitraire et il voyait dans sa prétention d’organiser en Belgique une Église nationale le dessein de « soumettre l’Église au joug de la politique ». Cet ennemi des papes en arrivait ainsi, en 1824, à considérer la question catholique comme la « question vitale ».

  1. Histoire de Belgique, t. III, 2e édit., p. 427.
  2. J’emprunte cette citation, comme celles qui suivent, à la correspondance inédite de de Potter, conservée à la Bibliothèque Royale.