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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/456

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LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE ET LE CONGRÈS

II

Le Congrès de 1830 n’a pas reçu seulement son nom du Congrès de la Révolution brabançonne, il lui ressemble encore en ceci qu’il est comme lui une assemblée souveraine succédant au monarque dépossédé. La ressemblance, il est vrai, s’arrête là. Elle fait place au contraste le plus absolu dès que l’on compare et la composition et l’esprit des deux assemblées. L’une ne s’ouvre qu’à un petit nombre de privilégiés prétendant exercer, en vertu des antiques constitutions du pays, la souveraineté nationale : elle fonde ses droits et sa légitimité sur le passé, et c’est en vertu de la tradition qu’elle se substitue à l’empereur[1]. L’autre, au contraire, ne s’attribue les pouvoirs du roi que parce que ces pouvoirs, d’après la théorie révolutionnaire, n’appartiennent qu’à la nation dont elle émane et qu’elle représente. Le Congrès de 1789 invoque, en face de Joseph II, les droits acquis ; celui de 1830, en face de Guillaume, invoque les droits de l’homme. L’indépendance nationale que celui-là voulait organiser par un retour à l’Ancien Régime, celui-ci la fonda conformément à la pure doctrine du libéralisme politique.

Un seul, parmi les membres du gouvernement provisoire, eût souhaité d’aller plus loin et de profiter des circonstances, non seulement pour réformer la constitution politique mais la constitution elle-même de la société. Louis de Potter appartenait à ce groupe de démocrates pour lesquels la liberté n’était que le prélude de l’égalité économique. Humanitaire et radical, il s’intéressait au sort des prolétaires et des humbles, exploités par le « boueux bourgeoisisme » qui en France venait de détourner la révolution à son profit. Son idéal paraît avoir été celui d’une république de citoyens jouissant des mêmes droits, où il n’y aurait ni riches ni pauvres et où la médiocrité des conditions et des désirs répondrait à un gouvernement économe et faible. Pour mieux assurer encore la liberté, cette

  1. Histoire de Belgique, t. V, 2e édit., p. 474 et suiv.