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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/457

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ATTITUDE DE DE POTTER

république serait fédérative, la centralisation du pouvoir poussant nécessairement ses détenteurs à en abuser. Par une contradiction curieuse, il entendait imposer au peuple le bonheur qu’il lui réservait. Défiant du suffrage universel, qui d’ailleurs eût infailliblement soumis le pays aux catholiques, il rêvait d’une réforme venant d’en haut. Le Gouvernement provisoire lui paraissait tout désigné pour purifier le « cloaque d’immondices » qu’était la société. À ses yeux, il avait le droit de se servir pour le bien général du pouvoir dictatorial qui lui avait été délégué par la nation. La révolution avait été faite par le peuple ; le moment était venu de la terminer pour le peuple en faisant régner la justice. S’en remettre aux décisions d’une assemblée, ce serait fatalement capituler entre les mains de la bourgeoisie et sans doute, comme en France, retomber bientôt sous le joug d’un roi. S’il fallait absolument convoquer un Congrès, du moins convenait-il de borner sa mission à l’acceptation pure et simple de la constitution qui lui serait proposée par le Gouvernement provisoire[1].

Peut-être l’ambition personnelle ne laissa-t-elle pas d’influencer l’attitude de de Potter. Sa popularité lui permettait d’aspirer à la présidence de cette république belge dont il portait le plan dans son esprit. Mais ses collègues avaient les meilleures raisons du monde de ne pas le suivre. Tout d’abord, la loyauté les poussait à déposer le plus tôt possible une autorité qu’ils n’avait prise que pour suppléer à la carence de tout pouvoir. Ils étaient bien décidés à remettre leur démission au Congrès, organe de la souveraineté nationale, au lieu de profiter de leur situation pour disposer des destinées du peuple. Leur libéralisme s’effarouchait et de l’esprit autoritaire de de Potter et de ses projets de réforme sociale. Leur programme n’allait pas au delà de la liberté politique. Sincèrement démocrates et même pour la plupart républicains, ils considéraient que, pour servir le peuple, il suffisait de lui donner la liberté.

Il serait aussi injuste qu’inexact de les soupçonner d’avoir

  1. Je résume ici les idées qu’il exprime dans ses Souvenirs personnels, t. I, p. 179, 214, 342, t. II, p. 178, 181 et passim.