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Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 6.djvu/458

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LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE ET LE CONGRÈS

voulu, de propos délibéré, fonder la domination de la bourgeoisie. Ce qui est vrai, c’est que, comme tous les démocrates de leur temps, ils se défiaient de l’ignorance et de l’incapacité des masses. Par respect pour la souveraineté du peuple, ils voulaient en garantir la durée et l’efficacité en n’appelant à y coopérer que ceux-là seulement qui en seraient dignes. Ce n’est point pour donner un privilège à la fortune et à l’instruction qu’ils exigèrent des électeurs du Congrès le payement d’un cens et des conditions de capacité : c’est parce qu’ils voulurent entourer leurs votes de toutes les garanties de l’indépendance[1]. Dans la situation où se trouvaient alors les classes populaires, ce ne sont point les conservateurs qu’effrayait le suffrage universel, car il eût joué, sans doute possible, en faveur de la réaction, et c’est parce que les libéraux et les démocrates en étaient convaincus qu’ils laissèrent subsister le suffrage restreint. Leur bonne foi apparaît d’ailleurs dans les précautions qu’ils prirent pour le mettre à l’abri de toute pression. La pratique de l’élection à plusieurs degrés, si habilement machinée pour confisquer au profit du pouvoir la volonté des électeurs, fit place à l’élection directe. Le secret du vote, cette autre sauvegarde de la démocratie, fut imposé. Les membres du Gouvernement provisoire ne doutèrent point d’avoir constitué le corps électoral du Congrès de telle sorte que celui-ci fût vraiment l’émanation de la nation et eût le droit de parler au nom du peuple belge. Respectueux de son pouvoir, ils se gardèrent bien de lui tracer un programme.

  1. Benjamin Constant, Cours de politique constitutionnelle, p. 48 (Bruxelles, 1837), ne reconnaît de droits politiques qu’aux citoyens possédant « le revenu nécessaire pour exister indépendamment de toute volonté étrangère ». Il en prive les salariés comme « dépendant d’autrui ». Ses idées, qui n’envisagent le gouvernement que du côté politique, étaient celles de tous les libéraux belges. Ils croyaient sincèrement instituer la démocratie (Voy. Huyttens, Congrès national, t. I, p. 248), et c’est en réalité de la vouloir instituer que le roi et les Hollandais les blâmaient. Il faut reconnaître d’ailleurs que le système électoral établi par le Gouvernement provisoire fut attaqué comme trop peu populaire par des membres du club de Bruxelles et par quelques journaux. Voy. Buffin, Documents, p. 273. Le 16 octobre, à la suite des réclamations d’un grand nombre d’habitants des campagnes, le cens fut réduit de moitié pour les électeurs ruraux.