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OPPOSITION DES CONSERVATEURS

club de Bruxelles, présidé par le Français d’Espagnac, a emprunté son règlement aux Jacobins de Valenciennes. Il répand une lettre de Walckiers affirmant que les ennemis du peuple sont le haut clergé et les États, ses amis, ceux qui « veulent que le pauvre soit soulagé dans les impôts, et les riches taxés davantage »[1]. À Louvain, on exhibe théâtralement un citoyen emprisonné pour avoir braconné un lièvre sur les terres du duc d’Arenberg. On cherche évidemment par ces manifestations à se concilier le sentiment populaire. Leurs auteurs oublient que la Belgique n’est pas la France, que la foi y est restée vive, que la noblesse n’y est pas oppressive, qu’il n’y subsiste presque plus rien des droits féodaux, qu’on ne s’y plaint pas des privilèges du clergé. Ils se figurent naïvement que leur éloquence porte au dehors et ils prennent les applaudissements de leurs auditeurs, dont la plupart sont des soldats sans-culottes, pour l’adhésion du peuple souverain. Ils ne tiennent pas compte surtout que, dans les campagnes flamandes, les « citoyens » chez lesquels ils exportent leur anticléricalisme ne saisissent pas un traître mot de leurs discours.

Le seul effet qu’ils produisent c’est de compromettre irrémédiablement les droits de l’homme et la république. Et au mécontentement qu’ils suscitent s’ajoute l’exaspération produite par les réquisitions et la circulation des assignats. Dumouriez a beau vouloir ménager les Belges, l’administration de la guerre l’abandonne à lui-même, casse ses marchés, veut l’obliger à vivre sur le pays, et il se voit bien forcé, pour faire subsister ses troupes, d’accabler les couvents de levées d’argent et les villes de logements militaires. Bientôt, les pauvres administrateurs provisoires auxquels on s’en prend, n’osant s’en prendre à l’armée, sont assaillis de plaintes. On les insulte et on les menace dans les rues. Déjà plusieurs d’entre eux, épouvantés, cessent de remplir leurs fonctions. Un emprunt décrété par ceux de Bruxelles échoue lamentablement. Faute d’argent, ils

  1. Je cite cette lettre d’après l’exemplaire imprimé de la Bibliothèque de l’Université de Gand (127 O. 21).