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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/105

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tique est universelle et l’économie domaniale sans débouchés. Sans ces deux conditions essentielles, il eût été impossible dans la forme qu’il prit.

Ainsi le premier pas fait dans la voie qui devait mener l’Europe, à travers tant de sang, à sa répartition en États nationaux, fut fait sans la moindre préoccupation des nationalités, et même à vrai dire à rebours d’elles. Le même esprit devait se manifester durant toute la décadence carolingienne.

À la mort de Lothaire (855), ses trois fils se partagèrent son Empire. L’aîné Louis eut l’Italie avec la dignité impériale, le second, Charles, le pays du Jura à la Méditerranée, le troisième, Lothaire, les territoires au nord du Jura. Le partage semble, cette fois, déterminé par des considérations géographiques, mais les nationalités furent à nouveau, complètement oubliées. Le royaume de Lothaire II est disparate et c’est pourquoi, faute de pouvoir lui donner un nom national, on l’appela de son nom : Lotharingia, Lotharingie. Lorsque Charles mourut sans enfant (863), ses deux frères se partagèrent très naturellement sa part, Louis prenant le sud et Lothaire le nord. Mais il n’en alla plus aussi régulièrement quand Lothaire II disparut à son tour, lui aussi sans héritiers légitimes (869). Si l’on avait procédé suivant la règle, Louis II aurait dû être son héritier. Mais le malheureux étant trop faible, ses deux oncles, Charles et Louis ambitionnèrent l’un et l’autre sa succession. Ils se rencontrèrent à Meersen et, au lieu de combattre, traitèrent. La Lotharingie fut divisée en deux, cette fois à peu près suivant la frontière linguistique, non par principe mais parce qu’elle se répartissait en deux moitiés sensiblement égales. Charles le Chauve, à la mort de son frère Louis (876), cherche à reprendre ses États. Il fut battu par son neveu Louis III, alors roi de Germanie, à Andernach. C’est la première bataille dans laquelle une armée française et une armée allemande se soient disputé la Lotharingie, quoiqu’il ne soit encore question ni de France, ni d’Allemagne. Il l’est si peu, que les contemporains appellent du même nom de France le royaume de l’est et celui de l’ouest, ajoutent seulement occidentale et orientale. La mort (6 octobre 877) ne laissa pas à Charles le temps de renouveler sa tentative. Son fils Louis le Bègue qui lui avait succédé, mourut peu après (10 août 879). Louis III profita habilement de troubles qui éclatèrent à ce moment parmi les vassaux de celui-ci, pour se faire céder tout le territoire que Charles le Chauve avait acquis.