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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/319

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c’est la majorité de la nation, le quatrième État, dont on ne parle pas, qui supporte le fardeau. Sûrement, sa condition est beaucoup moins bonne, depuis le xivesiècle, qu’elle ne l’a été durant les deux siècles antérieurs. On a vu comment l’apparition des villes en bouleversant l’état économique des campagnes y avait brisé le régime domanial et affranchi largement les terres et les hommes. Les classes rurales manifestent alors une singulière énergie. On défriche, on émigre, la population augmente rapidement. Mais tout cela s’arrête durant la première moitié du siècle. L’émigration ne fournit plus de débouchés : les places sont prises (en Allemagne orientale) et les villes se ferment. Et l’impôt est plus lourd et augmente sans cesse. De plus, il y a surabondance de bras et par conséquent la situation des paysans est plus mauvaise. La noblesse en profite pour essayer de rétablir ses droits féodaux anciens et d’une manière générale pour exploiter le paysan avec lequel elle n’a plus les rapports patriarcaux de l’époque domaniale. En Flandre maritime, une terrible révolte sévit de 1324 à 1328. Les paysans traquent les chevaliers, refusent le paiement des dîmes. Une véritable haine sociale se fait jour dans le Kerelslied. Cette terrible fermentation finit par le massacre de Cassel et des confiscations en grand. En France, la révolte dite des Jacques en 1357 — je veux bien qu’elle soit en partie le résultat des misères amenées par la guerre — trahit aussi entre les masses rurales et la noblesse une hostilité profonde qui doit avoir des causes plus générales. La révolte anglaise de 1381 sur laquelle on est le mieux renseigné, a sa source dans les tendances de la noblesse à en revenir aux anciennes corvées pour échapper à la hausse des salaires, conséquence de la peste noire. En Allemagne, il faudra attendre le commencement du xvie siècle pour trouver un mouvement semblable. Pourtant, depuis la fin du xive siècle, la condition des paysans empire visiblement, surtout semble-t-il, dans le sud. La noblesse profite de leurs besoins de terres pour les opprimer[1].

D’une manière générale on se met à mépriser le paysan comme un ilote en dehors de la société. On ne trouve plus de chartes de franchises rurales au xive siècle, si ce n’est dans quelques pays

  1. On ne peut considérer la victoire des gens de Schwis, Uri et Unterwalden sur le duc Léopold d’Autriche en 1315 comme un soulèvement social. Il s’agit de paysans libres voulant conserver leur indépendance. Ce serait plutôt quelque chose d’analogue à la lutte des Frisons contre les comtes de Hollande, qui aboutit à la bataille de Stavoren (1345)