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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/386

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puissance, il s’appliqua, à la rendre capable de se développer par elle-même. En 1348, il fondait à Prague, sur le modèle de celle de Paris, la première université de l’Europe centrale, et il se plut à orner cette ville de monuments qui lui donnèrent un aspect de capitale dont on aurait vainement cherché le pendant dans le reste de l’Empire. Son administration bienfaisante et intelligente, en favorisant l’essor économique du pays, y fit naître à côté de la bourgeoisie allemande, une bourgeoisie indigène. Tout cela explique la popularité de son gouvernement et que, de son règne, date l’éveil d’un sentiment national qui devait bientôt provoquer en Bohême une réaction contre les éléments germaniques qu’y avait introduits la colonisation du xiiie siècle.

Elle se manifesta fougueusement sous son fils Wenceslas (1378-1419) lors de l’explosion du hussitisme. Jean Hus est resté pour les Tchèques comme Luther pour les Allemands, un héros national. Dans un certain sens, il l’est même bien davantage. Car, tandis que tous les Allemands n’ont pas suivi Luther, tous les Tchèques ont suivi Hus. Le conflit religieux qu’il a déchaîné en Bohême, s’est doublé du conflit des nationalités en présence. Les Allemands ont tenu pour le catholicisme, les Tchèques pour l’hérésie et, à mesure que celle-ci s’est étendue parmi eux, ils ont persécuté les étrangers autant comme des intrus que comme des infidèles. La guerre qu’ils ont eue à soutenir pour défendre leur religion a achevé de répandre chez eux l’aversion pour l’Allemagne. Car c’est de l’Allemagne que venaient ces armées de chevaliers que Jean Ziska, puis Procope taillèrent si souvent en pièces. On ne peut s’empêcher de rapprocher l’état d’esprit des Hussites de celui des révolutionnaires français de la fin du xviiie siècle. Les uns et les autres luttent pour leur idéal contre l’étranger et, chez les uns comme chez les autres, le sentiment national se spiritualise par la conviction qui le soutient et qui l’excite.

La comparaison s’impose d’autant plus que le hussitisme prit bientôt des allures révolutionnaires. Les Taborites, on l’a vu plus haut, aspiraient à une rénovation complète, non seulement de l’Église, mais de la société. Abandonnés par les Utraquistes, puis vaincus par eux, ils durent se soumettre. Le « Compactat » (1434) négocié avec le Concile de Bâle fut un compromis assez ambigu qui, tout en réconciliant la Bohême avec l’Église, lui laissa une autonomie religieuse que personne ne jugea prudent de définir. D’ailleurs, une bonne partie de la noblesse, effrayée par la violence des