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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/476

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Philippe le Bel, la Curie s’était toujours abstenue par prudence ou par reconnaissance d’entraver l’exercice de prérogatives que la couronne s’attribuait sur le clergé. Le gouvernement se trouvait très bien de la situation qui lui était faite. Aucun des motifs qui poussaient les princes en Allemagne ou Henri VIII en Angleterre à rompre avec Rome pour lui substituer des Églises nationales n’existaient en France. Les intérêts politiques, qui ailleurs favorisèrent si largement la Réforme, poussaient ici, au contraire, à lui résister. Il devait donc arriver et il arriva que le roi ne pût prolonger sa tolérance pour un mouvement dont l’hostilité de Rome s’affichait de plus en plus ouvertement, sans encourir, aux yeux de la nation, le reproche d’en être le complice. Depuis 1530 environ il cessa de résister aux demandes de poursuites, et, sans aller jusqu’à créer contre l’hérésie, à l’exemple de l’Espagne, une inquisition d’État, il laissa les autorités religieuses et civiles la traquer à leur convenance, c’est-à-dire avec furie.

Calvin avait vingt-cinq ans lorsque la persécution, en 1534, le poussa à l’exil. Les Pays-Bas qui avaient déjà été et devaient être encore si souvent dans la suite le refuge des exilés français, étant inaccessible par suite des lois de Charles-Quint contre l’hérésie, il s’achemina vers la Suisse romande. Depuis quelques années, Genève y était en pleine fermentation politique et religieuse. Pour résister à son ennemi héréditaire, le duc de Savoie, la bourgeoisie avait sollicité et obtenu le secours de Berne. Dès 1526, les Eiguenots (Eidgenossen) chassaient de la ville les partisans du duc. Mais Berne était protestante et l’alliance conclue avec elle avait bientôt familiarisé les Genevois avec la Réforme. Un réfugié français, l’ardent Guillaume Farel, menait pour elle une propagande passionnée. Comme partout, l’Église désorientée ne résistait pas ou résistait mal, et la foi nouvelle, favorisée par l’amour de l’autonomie et la haine de la Savoie, dont les partisans bloquaient la ville (1534-1535), eut bientôt partie gagnée. Le 10 août 1535, la messe était suspendue par ordre du Conseil ; le peuple brisait les images, la plus grande partie du clergé prenait la fuite. La victoire remportée sur la Savoie l’année suivante faisait de Genève une république indépendante. Un régime politique nouveau s’y introduisait donc en même temps qu’une fois religieuse nouvelle : l’un et l’autre devaient désormais y rester unis indissolublement.

C’est au cours de ces événements que Calvin passant par Genève y fut retenu par Farel. Sa pensée était sûre d’elle-même : il venait