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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/480

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nature des choses, lui furent avancées par des commerçants enrichis. Vers 1550, sur la place d’Anvers, le nombre est déjà considérable des nouveaux convertis parmi le monde de la Bourse. Les catholiques se plaignent de ce qu’ils profitent de leur action sur leurs ouvriers pour les obliger, au moins en apparence, à adhérer à leur foi. La noblesse fournit aussi, dès l’origine, un nombreux contingent d’adeptes. Il suffit pour l’expliquer de se rappeler que l’instruction s’est répandue parmi elle, que sous l’influence des humanistes, les fondements de l’ancienne croyance ont été minés et que le goût de la discussion, l’amour des nouveautés s’est éveillé. Les nobles de langue française ont lu aussi passionnément l’Institution chrétienne que les nobles allemands avaient lu les pamphlets de Luther. Et que l’on songe à l’impression que devait produire la logique forcenée de ce petit livre sur des esprits que la lecture de Rabelais, paru presqu’en même temps, ne disposait déjà que trop à railler l’Église et à la considérer comme une institution surannée. Enfin le prolétariat industriel, au sein duquel la persécution qui n’avait pas étouffé l’anabaptisme, avait laissé des rancunes tenaces, ne pouvait manquer de fournir aussi son appoint, plus considérable il est vrai, du moins au début, par sa turbulence que par sa sincérité.

La constitution démocratique et autoritaire donnée par Calvin à son Église en favorisa étonnamment les progrès. Elle appelle, en effet, les fidèles à collaborer directement à l’organisation de chaque communauté religieuse. Si le ministre en est le chef spirituel, le Consistoire qui fonctionne à côté de lui, se recrute parmi les laïcs. Le dévouement de chacun est tenu en haleine dans ce petit groupe d’élus entouré d’ennemis et forcé de ne compter que sur lui-même pour se maintenir. Le zèle, la conviction, le courage, le fanatisme même des « ministres » leur assurent, partout où ils pénètrent, un ascendant contagieux. Et leur nombre n’atteste pas moins que leur énergie la vigueur de la jeune Église. Vers 1540, on en rencontre déjà de toutes parts en France, dans les Pays-Bas, en Angleterre. Formés à Genève, puis bientôt après à Lausanne, à Strasbourg, à Heidelberg, ils se présentent avec tous les caractères d’un véritable clergé, mais d’un clergé aussi actif, aussi instruit, que le clergé catholique est encore, en général, ignorant et apathique. Pourvus d’instruction, agissant de concert, se tenant en rapports les uns avec les autres, ils se dévouent corps et âme à leur tâche. Ils pénètrent dans les villes sous des déguisements, ou sous des noms d’emprunts, évangélisent le soir, à portes closes, dans une hôtellerie,